L'intérêt de la langue hébraïque dépasse de loin le cadre purement linguistique. Langue de la Bible, l'hébreu fut longtemps considéré comme " la mère de toutes langues ". Après des siècles de somnolence pendant lesquels l'hébreu ne fut qu'une langue liturgique et une langue écrite, il connaît depuis près de cent ans une véritable résurrection sur la terre qui l'a vu naître. Apprendre l'hébreu permet aux élèves l'accès à un monde nouveau, en ce qui concerne l'aspect linguistique et culturel.
On sait que l'hébreu a cessé d'être utilisé comme langue orale vers l'an 200 de notre ère. Tombé en désuétude comme langue parlée, il a néanmoins continué d'être employé comme langue écrite par certains juifs instruits jusqu'au XIIe siècle, époque où il a connu une certaine renaissance littéraire. En réalité, si l'hébreu parlé était une langue morte, il n'en était pas ainsi pour la langue écrite. C'est ce qui fait dire au linguiste Claude Hagège: «L'hébreu n'était plus vivant, mais il n'était pas mort.» Depuis le début du Moyen Âge jusqu'au XXe siècle, l'hébreu a continué à servir de langue véhiculaire écrite non seulement entre les rabbins, mais aussi entre les marchands parce qu'il était couramment utilisé pour la comptabilité. Or, durant plusieurs siècles, les usagers de l'hébreu écrit ont continué à créer de nouveaux mots afin de satisfaire les besoins de la communication.
À la fin du XVIIIe siècle, des intellectuels juifs ont tenté, en Allemagne, de refaire de l'hébreu une langue vernaculaire qui puisse rivaliser avec l'allemand; l'expérience s'est soldée par un échec. L'hébreu est resté une langue strictement écrite, comprise seulement par des initiés et dotée d'un vocabulaire restreint, archaïque, essentiellement à base biblique et souvent coupé des réalités modernes.
De jeunes juifs, considérés
à l'époque comme idéalistes, commencèrent
à s'installer en Palestine vers les années 1880.
Parmi eux, un immigrant d'origine lituanienne, Eliézer
Ben Yehouda (1858-1922) qui a été le pionnier
du mouvement pour la renaissance de l'hébreu comme langue
parlée. Ayant immigré en Terre d'Israël en
1881, il prône l'usage de l'hébreu dans les foyers
et à l'école, crée des milliers de mots nouveaux,
fonde deux périodiques en langue hébraïque,
est co-fondateur du Comité de la langue hébraïque
(1890) et rédige plusieurs volumes d'un Dictionnaire complet de l'hébreu antique
et moderne, en 17 tomes, commencé en 1910 et achevé
par sa seconde femme et son fils en 1959.
Évidemment, Ben Yehouda puisa dans l'hébreu biblique pour accomplir son oeuvre, mais il emprunta également des milliers de mots à l'arabe, à l'araméen ainsi qu'aux judéo-langues.
En 1880, afin de faire le point sur ses convictions, Ben Yehouda écrivit une lettre ouverte à l'éditeur Smolenski que celui-ci publia dans le mensuel juif viennois Ha-Shah'ar:
Pourquoi en êtes-vous arrivé à la conclusion que l'hébreu est une langue morte, qu'elle est inutilisable pour les arts et les sciences, qu'elle n'est valable que pour les «sujets qui touchent à l'existence d'Israël»? Si je ne croyais dans la rédemption du peuple juif, j'aurais écarté l'hébreu comme une inutile entrave. J'aurais admis que les maskilim [partisans de l'équivalant juif de l'époque des Lumières (Haskala)] de Berlin avaient raison de dire que l'hébreu n'avait d'intérêt que comme un pont vers les Lumières. Ayant perdu l'espoir dans la rédemption, ils ne peuvent voir d'autre utilité à cette langue. Car, Monsieur, permettez-moi de vous demander ce que peut bien signifier l'hébreu pour un homme qui cesse d'être hébreu. Que représente-t-il de plus pour lui que le latin ou le grec? Pourquoi apprendrait-il l'hébreu, ou pourquoi lirait-il sa littérature renaissante?
Il est insensé de clamer à grands cris: «Conservons l'hébreu de peur que nous ne périssions!» L'hébreu ne peut être que si nous faisons revivre la nation et la ramenons au pays de ses ancêtres. C'est la seule voie pour réaliser cette rédemption qui rien finit pas. Sans cette solution nous sommes perdus, perdus pour toujours.
[...] Il ne fait guère de doute que la religion juive sera capable de survivre, même en terre étrangère. Elle changera son visage selon l'esprit du moment et du lieu, et son destin sera celui des autres religions. Mais la nation? La nation ne pourra vivre que sur son sol, et c'est sur cette terre qu'elle renouvellera sa jeunesse et qu'elle produira de magnifiques fruits, comme dans le passé.
L'objectif de Ben Yehouda est très clair: l'hébreu ne peut exister que s'il revit au pays de ses ancêtres. En 1881, pour réaliser ses projets, il émigra en Palestine. Ben Yehouda fut le premier juif à parler hébreu à la maison et à élever ses enfants dans cette langue. En plus de mettre ses idées en pratique, il entreprit des appels à la population locale afin d'encourager chacun à parler l'hébreu en famille. Mais il obtint peu de succès, car dix ans après son arrivée en Palestine il ne pouvait compter que sur quatre familles de Jérusalem. Il Il créa, en 1890, la va'ad halashon, la Commission de la langue hébraïque, qui allait devenir, en 1948, l'Académie de la langue hébraïque. Entre 1881 et 1903, quelque 30 000 juifs arrivèrent en Palestine. Cet inlassable artisan de la renaissance de l'hébreu qu'était Ben Yehouda fonda alors, en 1898, un réseau d'écoles hébraïques destinées à enseigner l'hébreu aux nouveaux immigrants. Entre 1910 et 1920, naquirent les premiers enfants dont les parents ne parlaient que l'hébreu à la maison, c'est-à-dire les premiers enfants juifs à ne connaître que cette langue, après cet intervalle de 1700 ans.
Mais les convictions de Ben Yehouda ne lui attirèrent pas seulement des félicitations. Il dut subir les persécutions de la part des juifs ultra-orthodoxes de Jérusalem qui s'opposaient au sionisme et à la renaissance de l'hébreu. Alors que la Palestine était sous le régime de l'Empire ottoman, les ultra-orthodoxes proclamèrent son «excommunication» et dénoncèrent Ben Yehouda au gouverneur turc «comme révolutionnaire». Il fut arrêté et ne dut sa libération que grâce à l'intervention du baron de Rothschild.
L'une des oeuvres les plus remarquable de Ben Yehouda fut sans nul doute la rédaction d'un grand dictionnaire de la langue hébraïque. Aidé d'une équipe, il réadapta l'hébreu au monde moderne et publia enfin le Grand Dictionnaire de la langue hébraïque ancienne et moderne, appelé à l'origine le Thesaurus Totius Hebraitatis. Après avoir parcouru quelque 40 000 ouvrages, il réussit à terminer, avant sa mort (en 1922) les cinq premiers tomes (sur un total de 16) de son dictionnaire; les onze autres volumes furent complétés par une équipe d'amis fidèles à son esprit. Fait remarquable, le Grand Dictionnaire contient, pour chacune des entrées, une traduction en allemand, en russe, en français et en anglais, ainsi qu'une indication de la racine arabe correspondante (C. Hagège).
Puis, peu avant sa mort, c'est-à-dire lors de la période du mandat britannique qui commença en 1918, Ben Yehouda réussit à faire en sorte que l'hébreu devienne l'une des trois langues officielles de la Palestine, avec l'anglais et l'arabe. Nous savons aujourd'hui qu'il s'en est fallu de peu pour que l'allemand évince l'hébreu; si ce n'avait été de l'issue de la Première Guerre mondiale et du discrédit qui couvrit l'Allemagne, l'allemand aurait constitué certainement l'une des trois langues officielles de la Palestine. En raison de tout ce qu'a accompli Ben Yehouda, celui-ci est reconnu aujourd'hui comme le «père de la renaissance de l'hébreu». C'est en sa mémoire que de nombreux bâtiments et quantité de rues portent son nom en Israël.
Entre 1919 et 1947, la population
juive tripla et passa à 1,9 million. À partir de
1948, l'immigration juive prit des proportions considérables.
Plus de 1,6 million de juifs sont venus trouver refuge en Israël.
Cet amalgame d'hommes et de femmes provenant de plus d'une
centaine de pays parlaient autant de langues diverses.
L'État d'Israël ne ménage pas ses efforts pour promouvoir l'hébreu et aider les immigrants à apprendre cette langue. Le moyen privilégié, c'est l'oulpan, c'est-à-dire l'«école de langue hébraïque» qui dispense en des cours intensifs les bases de l'hébreu parlé et écrit, ainsi que la compréhension, parallèlement aux rudiments de la culture, de l'histoire, de la géographie et de l'instruction civique d'Israël. Cet enseignement a pour objet principal d'aider les nouveaux arrivants à s'intégrer aussi rapidement et aussi aisément que possible dans la vie sociale, culturelle et économique du pays, bref, dans un environnement qui parle l'hébreu. Une session normale dure cinq mois, à raison de 28 heures de cours par semaine. Le nombre des élèves est généralement limité à 20 et les cours comptent trois niveaux: débutant, intermédiaire et avancé. À la fin de leur oulpan, les débutants peuvent espérer maîtriser un vocabulaire d'environ 2000 mots.
Le premier oulpan, l'Etzion,
ouvrit ses portes à Jérusalem en 1949. Il en existe
aujourd'hui des centaines (au moins 800 oulpanim) dans l'ensemble
du pays dispensant des cours à plus de 80 000 élèves
et répartis dans près de 350 lieux différents:
villes, kibboutzim, usines, hôpitaux, bases militaires,
universités, centres communautaires et organismes du gouvernement.
Les oulpanim sont gérés par le Département
des adultes au ministère israélien de l'Éducation,
de la Culture et des Sports. Il existe aujourd'hui des oulpanim
spécialisés pour les professionnels, par exemple,
pour les médecins, les enseignants ou les comptables, mais
également pour les personnes âgées, les malentendants
ou les non-voyants, etc.
En Israël, on compte
plus de 25 quotidiens et 400 périodiques de toutes sortes.
Avec une population à peine plus nombreuse, certains pays
ne disposeraient que d'une dizaine de quotidiens. La société
israélienne semble donc hyper-informée. Les quotidiens
sont généralement publiés en hébreu,
mais plusieurs quotidiens sont publiés en anglais, et un
seul paraît en hébreu simplifié. La plupart
des magazines sont publiés en hébreu; les autres
sont en «hébreu simplifié», en anglais,
en arabe, en français ou dans l'une ou l'autre
des langues immigrantes. Le Jerusalem Post publie un hebdomadaire
en français. Les journaux arabes sont très peu nombreux
et connaissent une faible diffusion. De plus, l'État
hébreu limite sévèrement la circulation des
journaux étrangers, surtout arabes, à l'intérieur
des territoires palestiniens dont il contrôle encore les
frontières. Ainsi, les échanges de publications
entre la Jordanie et la Cisjordanie sont toujours interdits, en
dépit d'un accord jordano-palestinien de février
1999.
En 1966, le ministère de l'Éducation et de la Culture avait créé une télévision éducative diffusant en hébreu. Mais, étant donné la faible diffusion de cette langue dans le monde, la télévision israélienne ne peut produire elle-même toutes ses émissions. Une grande quantité de sa production est donc d'origine étrangère, essentiellement américaine, et offerte aux citoyens en anglais avec des sous-titres hébreux. Or, les nouveaux arrivants - 38 % des Israéliens - ont beaucoup de mal à lire les sous-titres, puisque l'hébreu, une langue consonantique, ne note pas les voyelles. Il faut une bonne connaissance de la langue écrite pour «reconstruire» les mots. Afin d'éviter la «fuite des téléspectateurs» vers des chaînes câblées en langues étrangères, les principales chaînes israéliennes ont décidé de diffuser des émissions en anglais, en français, en russe, etc., avec des sous-titres en anglais, en russe, en amharique, etc. De plus, afin de contrer la propagande anti-sioniste, le gouvernement a créé dès 1979 une télévision publique en langue arabe. Plusieurs des émissions consacrent une plage horaire quotidienne en arabe (environ 20 heures/semaine); le reste des émissions provient de programmes en hébreu sous-titrés en arabe. Par ailleurs, grâce à des fonds de l'Agence juive, le réseau est complété par un service d'émission surtout en «hébreu simplifié», en anglais, en français et en russe, mais également en yiddish, en judéo-espagnol, en hongrois, en roumain, etc. Les Israéliens peuvent capter par le câble trois chaînes de télévision françaises (France 2, Arte et TV5).
L'écoute radiophonique
est très élevée en Israël; le gouvernement
en profite pour normaliser l'hébreu, diffuser les mots
nouveaux, souligner les erreurs linguistiques, etc. La radio constitue
pour nombre d'Israéliens un guide linguistique très
utile. Plusieurs fois par jour, la radio et la télévision
diffusent en «hébreu simplifié» des
nouvelles à l'intention des immigrants. Les journalistes
diffusent généralement les nouvelles en hébreu
et traduisent eux-mêmes les nouvelles en provenance de l'étranger.
La radio israélienne diffuse, en raison de trois fois par
jour, des émissions en anglais, en français, en
russe, en amharique, en espagnol, etc
A lire également, les superbes articles du mensuel du judaïsme français "L'arche", consacrés à l'hébreu :